mardi 26 août 2014

Chapitre 7 : Appréciation des trois premiers arguments de H. Fulda


Après l’illustration de Juste Lipse, les auteurs de l’appendice citent H. Fulda qui avance quatre arguments dans son livre Das Kreuz und die Kreuzigung  (La croix et la crucifixion, p. 109, et 219 - 220), publié en 1875 à Breslau.  Nous avons vérifié les citations : elles sont exactes.  Nous partageons maintenant les trois premiers arguments du pasteur Fulda et nos réactions :

1)        Le manque d’arbres pour l’exécution publique

Il est intéressant à noter que la citation fait partie du paragraphe 14 qui porte le titre « Les différentes formes de la  croix. »  Il n’y avait donc pas qu’une seule forme de croix ! Dans cette citation, Fulda signale qu’on enfonçait une simple poutre dans le sol quand il manquait d’arbres.

Quand cela a pu être vrai notamment lors d’exécutions nombreuses, pour la crucifixion de Jésus nous formulons les observations suivantes :

1) Jésus était crucifié avec deux brigands, ce qui fait trois personnes sur trois croix. La situation était différente quand 2000 Juifs séditieux ont été crucifiés après la mort de Jésus, ou les 500 Juifs crucifiés tous les jours lors du siège de Jérusalem en l’an 70.
2) A Jérusalem il y avait bon nombre d’arbres, notamment des oliviers.  Les arbres ne manquaient pas. La situation de Jérusalem ne correspond pas aux situations où par manque d'arbres un poteau était utilisé.
3) L’occupant romain montait des poteaux (stipes) à un endroit de grand passage hors de la ville comme signe d’avertissement, la crucifixion servait également à mater la population des provinces récalcitrantes.  Même à Rome, sur les pentes de l’Esquilin, il y avait de nombreux poteaux à demeure. (1)
4) Enfoncer un poteau dans le sol pour qu’il tienne le poids d’un homme n’est pas si facile : il fallait creuser un trou d’au moins 60 cm (certains parlent d’un mètre) pour qu’il tienne ferme.  Le sol de Jérusalem étant rocailleux, c’était d’autant plus compliqué.  Arrivant sur le lieu d’exécution, il est difficile à concevoir qu’à ce moment-là les soldats ont dû creuser trois trous assez profonds pour que les poutres tiennent.  Il est plus cohérent de supposer qu’à Jérusalem les poteaux verticaux étaient déjà dressés sur le lieu d’exécution, comme c’était le cas ailleurs dans l’empire romain.

2)        Jésus est exécuté sur un poteau car son usage était habituel dans le Moyen-Orient.

Nous partageons avec l’auteur que la mise au poteau était répandue dans le Moyen-Orient et particulièrement en Grèce. 

Par contre, nous mettons en évidence la dimension romaine de l’exécution de Jésus.  La crucifixion sur une croix avec traverse s’était répandue dans le monde romain dès l’an 200 avant notre ère au plus tard.  Du temps de Jésus, la Judée était occupée par les romains depuis près d’un siècle (depuis l’an 63 avant notre ère, Jésus meurt en l’an 33).  Ponce Pilate était le gouverneur de Rome à Jérusalem, il avait droit sur la vie et la mort, droit que le Sanhédrin n’avait pas.  Les Juifs connaissaient 4 formes de mise à mort : la lapidation, décapitation, strangulation, et par le feu. (2)  La crucifixion ne relevait pas de la Loi juive.  Jésus était exécutée sous l’autorité du gouverneur romain, les soldats qui l’entouraient étaient romains, sa crucifixion était une forme romaine d’exécution : il n’a pas été pendu à un poteau après avoir être tué, ce qui aurait été conforme à la Loi juive, mais il y fut cloué vivant.   Le cadre romain est clairement attesté lors de la crucifixion de Jésus, les textes des Evangiles donnent de nombreux renseignements.

Pour appuyer son affirmation, Fulda prétend qu’il n’est pas concevable que la croix soit gardée en dépôt par la cour suprême pour le moment venu (p. 220).  A cela nous répondons :

1) qu’en beaucoup d’endroits plusieurs poteaux étaient érigés en permanence pour le cas où quelqu’un serait exécuté.   Cela a sans doute aussi été le cas à Jérusalem, qui historiquement avait la réputation d’être une ville rebelle ;
2) que l’armée romaine de Jérusalem était bien organisée, comme nous le voyons de la façon dont Paul est exfiltré de la ville par une troupe de pas moins de 470 miliciens (3).  Cette bonne organisation démontre que les soldats étaient capables d’exécuter convenablement les ordres.  La bonne organisation implique que divers patibula étaient prêts au cas où ;
3) qu’il était facile de prendre les patibula, de les faire porter par les condamnés, et de les hisser sur les poteaux déjà en position.  Leur poids se situait autour des 30 – 50 kg ;
4) que d’autres crucifixions ont eu lieu auparavant à Jérusalem : déjà en l’an 88 avant notre ère, le roi hasmonéen Alexandre Jannée a fait crucifier 800 pharisiens à Jérusalem.  Ces crucifixions ont été lourdement condamnées par les sacrificateurs, ainsi en atteste le Pesher Nahum de Qumran (4Q169 frags. 3–4), cité par Jodi Magness (4).  Ainsi, Pilate n’avait rien à improviser ou produire sur place.

3)        Le récit de la passion de Jésus plaide pour le poteau.

Fulda avance plusieurs arguments : 1) la grande hâte avec lequel les événements se sont déroulés ; 2) Pilate aurait été pris au dépourvu : il n’y avait pas le temps de trouver scie, hache, ciseau et foreuse pour fabriquer une croix avec deux traverses (p. 220) ; 3) Il avait autre chose à faire qu’inventer une punition encore plus pénible que celle du poteau.

Voici nos arguments :
-    La crucifixion avec traverse existait depuis plus de deux siècles dans l’empire romain, Pilate n’avait rien à inventer.
-      L’armée et la justice étaient bien organisées, les poteaux étaient érigés comme ailleurs, les patibula étaient prêts, il n’y avait rien à fabriquer
-     Pilate était pris au dépourvu quant à son entretien avec Jésus : il n’était pas à l’aise, ni avec Jésus, ni avec les autorités juives qui réclament la peine capitale.  Par contre, il n’a pas été pris au dépourvu quant à la croix que Jésus a porté, ni quant aux croix des deux autres crucifiés.  Le fait qu’il exécute trois personnes en même temps montre que tout était prêt : Pilate était prêt quant à la préparation matérielle des choses au cas où plusieurs exécutions devraient avoir lieu.  La crucifixion des deux brigands en même temps montre que Pilate n’est pas pris au dépourvu.
-   Et si Jésus n’a pas porté le patibulum, de quelle croix s’est-il alors chargé ? Le poteau était beaucoup trop long et surtout trop lourd pour le transporter, en général ils étaient déjà érigés sur le lieu d’exécution comme signe d’avertissement. (5)  Il n’a certes pas porté le panneau d’inscription, ni la planche pour les pieds s’il y en avait un, ni la sedula (planche sur laquelle prendre appui avec les fesses).  Jamais la question « Quelle croix Jésus a-t-il porté si ce n’était pas la traverse ? » n’a reçu de réponse.  Ainsi, le récit de la passion plaide pour le patibulum, donc pour la croix avec traverse !

Résumé :

Dans l’Orient, les Grecs pendaient souvent les victimes au poteau, mais à Jérusalem  Rome règnait.  L’organisation de l’armée et de la justice romaine impliquent qu’un certain nombre de poteaux était érigés hors de la ville de Jérusalem et que des patibula étaient prêts.
Dans le récit de la passion, le fait que Pilate crucifie en même temps 3 personne montre qu’il était équipé et prêt à toute éventualité.  Le récit de la passion indique que Jésus, très probablement, a porté sa croix : le poteau était trop lourd (entre 75 – 100kg), trop pour un homme qui a subi le fouet.  Vraisemblablement Jésus a porté le patibulum.  Celui qui ne partage pas cet avis doit expliquer quelle croix Jésus a porté !
Notre conclusion est que le récit de la passion plaide pour la croix avec traverse.

Notes :

(1)  « La passion de N.-S. Jésus-Christ selon le chirurgien », Pierre Barbet, Paris 1977. Cité via : http://mondieuetmontout.com/Pierre-Barbet-Docteur-Archeologie-Crucifixion.htm
(2)     Cité par Jody Magness, « Ossuaries and the Burials of Jesus and James », Journal of Biblical Literature, 124/1 (2005) p.142, voir aussi notre 97.
(3)   La décision de l’exfiltration de Paul de Jérusalem est prise sur base d’une information pertinente, exécutée seulement quelques heures plus tard : vers 9h le soir 200 soldats, 70 cavaliers et 200 archers se sont mis en route.  C’est une mobilisation rapide d’une grande partie de la garnison romaine de Jérusalem, et cela pour amener un seul homme, lui aussi en cheval, à Césarée (Actes 23 : 22 – 32). 
(4)     Même référence que sous (1)
(5)     « La crucifixion … était aussi un moyen de mater les villes qui s’étaient révoltées … de briser la volonté des peuples conquis, de ramener à la raison les troupes en révolte et les provinces remuantes. » La crucifixion dans l’antiquité et la folie du message de la croix, M. Hegel, Paris 1981, p. 64 – 65.