mardi 26 août 2014

Chapitre 5 : N’est-ce que bien après Tite-Live que le mot « crux » a pris le sens de « croix » ?

En plus de l’étymologie biblique, les auteurs mentionnent Tite-Live, historien romain du Ier siècle.  Ils affirment que dans ses écrits, la « crux désigne un simple poteau.  Ce n’est que plus tard que le terme a pris le sens de “ croix”. » 

Question 1 : est-ce que pour Tite-Live le mot crux désigne uniquement un simple poteau ?

a)      Tite-Live ne donne aucun renseignement sur la forme de la croix

Tite-Live mentionne plusieurs fois la croix (22.13.9/22.33.2/28.37.2/30.43.13/33.36.3/38.48.13, (1)), mais il n’en indique jamais la forme.  Par exemple : « Mago … les fit déchirer de verges et mettre en croix. »  (28.37.1 – 2).  Ce supplice des magistrats de la ville de Gadès a bien des points en commun avec celui de Jésus : ils sont battus de verges et cloués sur des croix. Mais, rien n’est indiqué sur leur forme : le contexte ne nous donne pas le moindre renseignement.    Signalons que ces événements se sont déroulés lors des années 207 – 205 avant notre ère. 

b)     Quand Tite-Live parle du poteau, il se sert du mot « palus »

Par contre, dans ces œuvres Tite-Live se sert aussi d’un autre mot latin, palus, pour désigner un poteau vertical : « va licteur, attache-le au poteau (deliga ad palum). »,  et « Ils furent attachés à un poteau (Deligati ad palum), frappés de verges et décapités. » (2)  Quand Tite-Live veut relater que quelqu’un a été supplicié au poteau vertical il se sert du mot palus. Alors, la crux peut représenter plus qu’un simple poteau !

Nous n'avons pas encore répondu à la question, pour y parvenir nous posons d'abord une deuxième, puis une troisième question :

Question 2 : est-ce seulement après la mort de Tite-Live en l’an 17 de notre ère que le mot « croix » a pris le sens d’une croix avec traverse ?

Les auteurs de l’Appendice affirment « Ce n’est que plus tard (après Tite-Live) que le terme a pris le sens de “croix”. »

Cette remarque nous amène à la question « cruciale » : puisque le sens des mots a évolué le long des siècles, à partir de quand le mot crux a-t-il également désigné une croix avec traverse ?

Nous partageons qu’à l’origine les différents mots désignaient un poteau ou un pieu, que son sens s’est élargi plus tard pour comprendre également la croix avec traverse.  Ainsi, il est clair qu’au temps de la reine Esther en Babylone Hamman et ses fils ont été pendus à une potence, et non à une croix dont l’existence n’est jamais attestée à cette époque.  Mais le récit d’Esther se situe 5 siècles avant notre ère !

Les auteurs de l’Appendice écrivent qu’au 1er siècle les mots « stauros, stauroô, xulon et crux » n’avaient rien à voir avec une croix avec traverse, que ce n’est que bien plus tard que ces mots ont revêtu la signification d’une croix avec traverse.  Ils n’apportent pas la preuve de leur affirmation.  Puisque tous les dictionnaires indiquent le sens de « croix » avec traverse, il fallait nécessairement apporter une preuve que les mots ne revêtaient pas encore cette signification au premier siècle de notre ère.

Question cruciale : à partir de quelle époque le mot crux a-t-il pris également le sens de croix avec traverse ?

Nous avons effectué des recherches dans les écrits de Plaute, auteur romain qui est décédé en l’an 184 avant notre ère, plus de 200 ans avant la crucifixion de Jésus.  Voici quelques citations (texte latin dans les notes) qui nous aident à saisir le sens du mot « crux » de son temps :

-        « Je l’admets, je lève mes mains ! Et plus tard, tu les maintiendras sur une furca. Allons vers la crucifixion ! » (furcis, crucem)
-            « Te voilà, je pense, dans la posture où il faudra bientôt mourir à la porte de la ville, les bras (étendus) sur le gibet (patibulum). »
-            « Oh, je parie que les bourreaux te regarderont comme un crible humain,  t’infligeant une multitude de trous lorsqu’ils te traîneront dans les rues, tes bras sur le patibulum … 
-            « Je porterai le patibulum à travers la ville ; je serai par la suite cloué sur la crux. » (3)

Ces citations démontrent que Plaute :
(1)     connaissait le patibulum (la barre transversale de la croix) et la furca (carcan)
(2)     savait que le supplicié étendait ses bras sur le patibulum
(3)     qu’il portait le patibulum jusqu’au lieu d’exécution
(4)     qu’il était sévèrement flagellé lors de son passage en ville
(5)     qu’il mourrait hors de la porte de la ville
(6)     que ce n’est qu’à cet endroit qu’il était cloué sur la croix.

Ainsi, du temps de Plaute, la croix était un poteau auquel le patibulum ou la furca était accroché.  Et s’il écrit cela avant 1’an 184 avant notre ère (p.ex. son oeuvre Miles Gloriosus est datée autour de l’an 205 avant J.-C.), cela démontre que la croix avec transversale était déjà connu depuis un certain temps.  Il devait être accepté dans ce sens depuis au moins 2-3 décennies au moment au Plaute écrit.  Nous affirmons donc que le mot « crux » revêtait la signification de croix avec traverse avant l’an 200 avant notre ère ! Les citations de Plaute montrent que la croix avec traverse était connue depuis plus de deux siècles quand Tite-Live écrivait. (4)

Résumé :

La signification du mot crux a évolué le long de l’histoire.  A l’origine il décrivait un simple poteau, plus tard il a revêtu le sens de la croix.
Les auteurs de l’Appendice, devant le témoignage massif des dictionnaires que le mot crux signifie également « croix », n’apportent pas de preuve qu’au premier siècle la crux ne désignait qu’un simple poteau sans traverse.
Nous avons apporté la preuve par l’auteur Plaute qu’avant l’an 200 avant notre ère, la crux désignait une croix avec traverse.  Par conséquence :
1) Il est donc faux d’affirmer que ce n’est que bien après le premier siècle de notre ère que le mot latin crux aurait revêtu la signification de croix avec traverse. 
2) Il est faux d’affirmer pour Tite-Live que le mot crux désigne uniquement le poteau.
3) Il est certain que Tite-Live connaissait la croix avec traverse.

Notes :

(1)   A Concordance to Livy, Packard, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1968 (différentes formes du mot crux)
(2)     Histoire Romaine, Tite-Live, 8.7.19 et 28.29.11. 
(3)     (a) (Do)  Fateor, manus do vobis.
      (To) Et post dabis sub furcis.
               (Sag.) Abi intro—in crucem. 
      Plaute.  T. Macci Comoediae.  Tomus II.  W.M. Lindsay, Oxford University Press    1980.  
      Persa 855 (p. 185 – 186)
       (b) “ Credo ego istoc exemplo tibi esse pereundum extra portam, Dispessis manibus patibulum quom 
             habebis. 
             Plaute.  Comédies IV. Miles Gloriosus 359 – 360 (p. 196).  Texte par Alfred Ernout, « Les Belles 
             Lettres », Paris 1963.
       (c) “o carnuficium cribrum, quod credo fore, ita te forabunt patibulatum per vias stimulis (carnufices) …”
            Plaute.  T. Macci Comoediae. Tomus II. W.M. Lindsay, Oxford University Press 1980.  
            Mostellaria 55 – 57 (p. 85)
       (d) “ Patibulum ferat per urbum, deinde adfigatur cruci. 
            Plaute.  T. Macci Comoediae.  Tomus II.  W.M. Lindsay, Oxford University Press 1980.  
            Mostellaria 55 – 57 (p. 85)
(4) Pour approfondir, nous recommandons la lecture des pages 19 - 24 de l'étude « Les Témoins de Jéhovah et la Croix", Leolaia, Jehovah's Witness Discussion Forum 1990.  Traduction et adaptation française par Jacques Luc, 2009.  Lien : http://www.aggelia.be/croix.pdf